Les amis, vous n'êtes pas sans savoir que c'est bientôt Noël...Comme chaque
année, j'ai écrit un conte, que je dédie à tous mes neveux, (y en a 4), mais aussi
aux enfants grands et petits de tous mes amis. J'espère qu'il leur plaira; et aussi
à leurs parents...
(Pour ceux qui ont pas d'enfants chouette, rejoignez moi au bar on va fumer des
clopes en écoutant de la bonne musique et en buvant des coups...hem.)
Le Grand Chêne.
Conte sur le déracinement.
Texte et illustrations de Saucisse.
Il était une fois, un arbre.
C'était un grand chêne majestueux, qui était déjà adulte depuis
des années.
L'arbre était enraciné dans un grand champ pierreux, balayé par
les vents, et ses grandes branches, bien que très longues et très
hautes, ne produisaient pas beaucoup de feuilles.
Il faut vous dire que pour un arbre, les feuilles sont comme les
poumons du corps humain. Du coup, l'arbre avait un grand corps
et de grands bras, mais il ne respirait pas très bien.
La bise glacée, les rares apparitions du soleil n'y changeaient
rien : "Te-heu, Te-heu", toussotait l'arbre chaque fois qu'il entrait
en conversation avec, soit les petits écureuils qui passaient par là,
soit les rares oiseaux qui se posaient sur ses grandes branches.
Il avait toujours l'air souffreteux, malade, même au printemps
quand tout renaît et fleurit.
Du coup, les petits insectes malfaisants et les champignons de moi-
sissure profitaient de son état de faiblesse et élisaient domicile
sur son grand tronc recouvert d'écorce.
Les oiseaux, les papillons se moquaient bien du grand chêne
malade : comment auraient-ils pu s'y loger, alors qu'il n'avait
que quelques feuilles éparses, de-ci, de-là?
Les petits oiseaux avaient besoin d'être cachés par le feuillage,
et les papillons de jour n'aimaient pas poser leurs pattes délicates
sur les gros grains durs de son écorce.
Eux ce qu'ils aimaient, c'était sentir le velouté de la feuille sous
leurs pattes...Mais les feuilles de ce chêne là, étaient minuscules
et toutes dures. Alors, les papillons, les écureuils, les oiseaux
allaient se loger ailleurs.
Cela rendait le grand chêne encore plus triste.
"Te-heu, Te-heu. Mais pourquoi, se disait-il, suis-je si seul? Les oi-
seaux et les papillons ne se posent pas sur mes branches. Le soleil
ne me réchauffe pas, et le vent glacé me brise. Je suis si malheureux.
Je n'ai pas de feuilles. Je ne sers à rien dans la nature où tout chante,
tout vit. Je suis une erreur !"
Seuls les papillons de nuit, petits êtres craintifs se posaient par-
fois sur lui. Mais les papillons de nuit accompagnent souvent les
idées noires : c'est pour ça que leurs ailes sont toujours toutes
blanches, ou blanches et noires.
Une nuit, le grand chêne ne dormait pas.
Au contraire, il avait les yeux grand ouverts et il regardait le ciel.
C'était la nuit de la Saint-Sylvestre.
L'air était glacé et le ciel une immense voûte étoilée au dessus de lui.
Le grand chêne avait plus froid que jamais. Il sentait tout son être
s'engourdir lentement, comme s'il perdait petit à petit de sa vigueur,
comme si les forces le quittaient.
Il sentait la sève qui d'ordinaire le réchauffait et le faisait grandir,
se figer en lui, et ses petites feuilles maigrelettes se cristallisaient
de froid en tremblant.
Le grand chêne pensa : "Te-heu, Te-heu. Les forces me quittent. Je
crois que je vais mourir cette nuit. Que j'ai froid...Que je voudrais
que le jour se lève...Juste encore une fois... Voir l'aube une dernière
fois..."
Il regarda les étoiles, qui lui semblaient plus innombrables et plus
lumineuses que jamais. A travers ses paupières mi-closes, il voyait
les petites pierres du champ prendre une teinte grise et bleutée,
et pour la première fois il remarqua comme la nuit était belle.
Tout au loin à l'horizon, on voyait une faible lueur, minuscule, viola
cée, se répandre comme une onde au ras du sol.
C'est le début de l'aurore, se dit l'arbre.
"Oh, la voir encore..."
A mesure qu'il voyait l'onde se répandre, l'arbre sentit son coeur
battre plus fort. Le désir de voir la lumière une dernière fois faisait s'emballer son coeur usé.
Son coeur se mit à grossir, grossir en même temps que la lueur deve-
nait violette, puis mauve, puis rose, puis orange, puis jaune très clair et levait un voile de plus en plus grand sur le ciel toujours rempli d'étoiles.
"Voir l'aurore...Tenir jusqu'à l'Aurore, encore..." se disait l'arbre.
A mesure que son coeur grossissait, et battait plus vite, il envoyait
de la sève brûlante dans son tronc et dans ses branches et réchauf
fait son grand corps perclus de douleurs.
Bientôt, le grand chêne sentit monter en lui une force qu'il ne
connaissait pas. Son coeur battait, battait fort. Jamais il ne l'
avait entendu auparavant mais cette fois, les coups réguliers
résonnaient à ses oreilles. De tout courbé qu'il était, le grand
chêne se redressa et étira ses longues branches vers le ciel
qui pâlissait.
"Mais qu'est-ce qui m'arrive?" Se dit le grand arbre.
Bientôt, le premier chant d'oiseau retentit. Le chêne était tout
étonné d'être éveillé et encore en vie pour l'entendre.
En ce matin tout neuf, il eût l'impression de voir pour la première
fois le monde qui l'entourait. Un champ tout pierreux, tout gris.
Quelques touffes d'herbe jaune, autour de lui. Pas de mousse.
Pas de petit ruisseau chantonnant gaiment dans le matin. Pas de
rayons de soleil qui auraient réchauffé sa grande carcasse. Pas de
petits rongeurs, de chenilles, pas de familles de musaraignes ou
de mulots. Que des insectes noirs, traînant leur lourde carapace
et leurs pinces menaçantes à ses pieds. Que des champignons vé
néneux, des mauvaises herbes, des plantes parasites dont l'acidi
té sur son écorce lui faisait mal au tronc.
Alors le grand chêne se mit à réfléchir.
Pour la première fois, il se dit. "Je suis vivant. Je suis un beau,
grand chêne. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas être glacé
par le vent mauvais. Je veux vivre. Je veux que le soleil inonde
mon feuillage, et réchauffe mon tronc. je veux que les petits oi
seaux viennent construire leur maison dans mes branches. Car
je suis un beau, grand chêne."
Alors, avec sa force nouvelle qui venait on ne sait d'où, le grand
chêne fit un effort monumental pour s'arracher du sol.
C'était très dur, car ses racines plongeaient très profondément
dans la terre froide.
Après un très gros effort, le grand chêne y parvint.
Il se mit à marcher en direction du soleil.
Il était tellement impatient qu'il se mit à courir pour essayer de
le rattraper.
Le grand chêne ne se retourna même pas pour regarder une der
nière fois le champ pierreux où il avait habité. Il ne dit pas au-re
voir à ses amis, car depuis tout le temps où il avait habité dans ce
champ, il se rendit compte qu'il n'avait même pas réussi à se faire
des amis.
Il marcha, marcha, marcha, toute la journée, en direction du soleil.
Et puis le soleil commença à décliner. Il peignait tout d'une couleur
orangée, qui éclaboussait le grand arbre et le faisait vibrer de plaisir.
Et puis, lorsque le soleil toucha le sol, l'arbre s'arrêta de marcher.
Il était arrivé à un endroit vallonné et verdoyant, avec une petite
rivière qu'il entendait couler pas loin de là. Il regarda le sol : pas
une pierre en vue. De la bonne herbe grasse et même des petites
fleurs en train de se refermer et de s'apprêter pour la nuit.
A un moment, le grand chêne vit même un lièvre passer à quelques
mètres de lui dans les hautes herbes.
Personne ne s'étonnait de sa présence.
Epuisé, le grand chêne s'endormit.
Lorsqu'il se réveilla, quelle ne fut pas sa surprise de voir que ses
pieds avaient déjà pris racine dans le sol !
La terre sous lui était délicieusement rafraîchissante.
Le soleil chauffait le dessus de ses branches.
La douce brise agitait ses petites feuilles qui se dépliaient
délicatement, comme une chevelure verdoyante que le ciel aurait
caressée de sa main ondoyante.
Le grand arbre soupira. Un grand soupir qui venait du plus profond
de son coeur. "Je suis si bien ici". (Pour la première fois le grand
chêne remarqua qu'il ne toussait plus.)
Petit à petit, le grand chêne prit racine.
Chaque jour de nouvelles petites feuilles naissaient sur ses bran
ches et il se sentait de mieux en mieux. Il respirait mieux que
jamais.
Comme il respirait mieux, le grand chêne devenait de plus en plus
beau, et de plus en plus vert.
Et c'est ainsi que le grand chêne se fit des amis.
D'abord, ce fut une colonie de fourmis qui le trouva très pratique
et qui aménagea des petits rangements sous son écorce. Ca le cha
touillait bien un peu, mais le grand chêne était drôlement fier d'hé
berger quelqu'un.
Et puis, deux écureuils vinrent le visiter.
Tout de suite, ils emménagèrent au troisième étage, à la base des
branches. Ils se chamaillaient souvent pour des questions de noi
settes mal rangées, mais le grand chêne riait intérieurement en
entendant leurs petits cris aigüs.
Enfin, un couple d'oiseaux très amoureux vint élire domicile sur
ses plus hautes branches. L'arbre fit des efforts pour faire pous
ser plein de feuilles autour de leur nid, pour bien cacher et proté
ger les petits.
Et c'est ainsi que le beau grand chêne prospéra.
Il vécut plus de 250 ans et on ne trouvait pas d'arbre plus grand
et plus beau que lui à la ronde. Il eût même d'autres amis arbres
(ce qui ne lui était jamais arrivé auparavant) et des enfants.
Et chaque année, à la Saint Sylvestre, le grand chêne veillait.
Sous l'immense voûte étoilée, il regardait le miroitement infini du
ciel, et il attendait l'aube, en souvenir de cette nuit glacée qui avait
tout changé dans sa vie.
FIN
Pour lire (ou relire) le conte de noël de l'année dernière :
(Cliquez sur le lien ci-dessous)
SAUCIFLETTE