Chers zamis des zarts,
Tout d'abord, un grand merci de me lire, vos vibrants
hommages me font toujours plaisir :)
En attendant mon dernier meuble relooké, je suis allée
faire un tour à l'expo Paris-Delhi-Bombay qui se tient
actuellement au Centre Georges Pompidou (Beaubourg
pour les intimes).
Et je ne sais pas, je m'attendais à un truc, un peu
comme l'Inde, chamarré, grouillant de monde, d'odeurs,
de sensations nouvelles multiples, un chaos de couleurs
et une cacophonie de sons.
J'ai donc été un peu déçue en voyant l'expo, qui n'a pas
grand chose à voir avec l'Inde réelle, ne parvient pas à
recréer l'atmosphère de là-bas qui vous prend aux tripes,
et qui réussit même à appauvrir visuellement la valeur
esthétique de l'art indien, un des plus riches du monde
à mon avis (artistes : courez-y. Pour vous, ça sera le
paradis...ou l'enfer parce que vous ne réussirez jamais
à tout voir ni à retranscire en mots ou en photos la ri-
chesse de ce que vous y aurez vu.)
Il faut dire que ce n'est pas à proprement parler une expo
sur l'Inde, mais plutôt une expo qui prend cette dernière
comme prétexte, ou comme intertexte, mais c'est
parfois assez tiré par les cheveux voire très éloigné du sujet,
quand il n'est pas carrément oublié.
Il y a deux types d'artistes exposés, et je dois reconnaître
que la bonne surprise c'est qu'il y en a beaucoup, des œuvres
d'artistes indiens (mes préférées) et des oeuvres d'artistes
français faisant référence à l'Inde, et à mon avis ces dernières
ont déjà moins de force. (Mais ce n'est que mon humble avis.)
C'est pourquoi, en justicière ès pays bafoué, j'ai voulu écrire
cet article "En défense de l'Inde", pour expliquer ce à quoi
font référence les œuvres en réalité, et montrer ce qu'il
faudrait montrer, pour vous donner envie d'y aller...
Je ne dis pas que l'expo n'est pas bien : je dis juste qu'elle
m'a fait l'effet d'un ersatz, d'un bonbon sans sucre au lieu
d'être un délicieux gâteau au miel, pour moi madeleine de
Proust des deux mois fantastiques que j'avais passés à ten-
ter de tout y voir, à travers le Rajasthan, dans le Kerala, le
Tamil Nadu et pour finir à Darjeeling.
C'est parti : (lancement du saucissorama) :
I. L'œuvre :
Un collier de fleurs, qu'on voit sur les statues des
dieux hindous dans les temples, ou lors des nom-
breux festivals ou cérémonies qui se tiennent
tous les jours en Inde, et sur les sadus.
L'original :
Ganesh festival, oct 2007, Udaipur, Rajasthan
Marché aux fleurs, Mysore, Karnataka (sud de l'Inde)
Et là, les gars, je dis : pas mal. Parce que le collier de
fleurs est en réalité composé de ... lames de rasoir
teintes en rouge.
Ce qui est vecteur d'une violence dont l'Inde
n'est certainement pas exempte; en plus ça évoque
la souffrance corporelle des fakirs : sorte de clin d'œil
aux clichés sur l'Inde, en fait. Pas mal, je vous dis.
Mais, dans ce cas, pourquoi ne pas aller carrément
dans le cliché? Allons-y. Et vlan, je vous mets un serpent
à lunettes.
Hampi, Karnataka, oct 2007
Autre oeuvre saisissante : celle-ci. Un paysage?
Oui mais regardez mieux : un paysage, fait d'impacts
de balles.
Assez incroyable, en fait. Quand on sait qu'elle a été
réalisée au Pakistan, on comprend mieux.
Si toutes les balles de revolvers du monde pouvaient
servir à ça, ça serait le pied ... Et c'est pas moi qui le
dit, c'est Gandhi, avec son petit rouet les amis.
II. L'œuvre :
Je trouve ça pas mal du tout, parce qu'en fait c'est
un magnifique croisement entre ce qu'on trouve le plus sur
les routes en Inde : des vieilles motos (des Enfields; je fais
genre que je m'y connais) et ... des vaches sacrées. Les
deux ensemble ne faisant pas toujours bon ménage, d'ailleurs,
moi j'avais failli avoir un accident de vache, une fois. Si, si !
L'original :
Vache sacrée, Jaïpur, Rajasthan.
Par contre, ça doit pas être facile de trouver une roue de
rechange. Je dis ça, je dis rien. Mais en tous cas le guidon
est sympa.
Autre œuvre incroyable :
III. L'œuvre :
Réalisée par une artiste indienne, ça
m'a beaucoup plu : c'est fait à partir de matériaux de
récupération, et ça représente un des bidonvilles de
Bombay, sorte de ville dans la ville, reproduisant
à taille réduite les bâtiments et le "mobilier urbain"
(huhu), genre les feux rouges, les échoppes, etc.
Un travail colossal, à regarder à la verticale, évocation
stylisée de la colonisation rampante horizontale de l'es-
pace par les bidonvilles autour de Bombay, toujours plus
grands, toujours plus nombreux, toujours plus peuplés
et toujours plus denses, chaque centimètre d'espace
étant occupé.
L'œuvre rend très bien compte de ce manque d'espace,
de cet entassement et de cette profusion, propres à l'Inde.
Je me souviens en arrivant à Bombay en bus "sleeper"
(genre à deux étages avec des couchettes), il s'était
passé quasiment une demie-heure entre le moment où
le véhicule arrivait techniquement à Bombay, et le
moment où on s'était retrouvés dans le centre, à la gare.
Le temps de traverser les bidonvilles. Ces images
défilant à toute vitesse resteront gravées dans ma mé-
moire. Bombay est pourtant si belle ! C'est la ville de
tous les contrastes. Le faste et l'extrême pauvreté s'y
côtoient sans cesse.
L'original :
Source : Internet
IV. L'œuvre :
Ah ! On arrive aux tableaux de Pierre et Gilles.
Inspirés de l'imagerie traditionnelle de l'Inde, ils
sont hauts en couleur et mes œuvres préférées,
mais selon moi ils gardent tout de même un
côté trop "léché", sans commune mesure avec
la réelle kitschitude (si vous me permettez le néolo-
gisme) qu'on peut trouver en Inde.
Enfin, c'est déjà pas mal... On pourrait appeler ça
du post-moderne Kitsch, ou de l'art contempo-Kitsch,
sorte de version épurée et nettoyée du Kitsch indien.
L'original est quand même un cran au-dessus, en matière
de Kitsch ...
Le "vrai" kitsch indien (level 5, au moins) :
Festival Durga Puja, Calcutta, oct 2007
Intérieur du Hanuman Temple, Hampi, Karnataka
(Détail)
"Crèche" hindoue, Madurai Temple, Tamil Nadu.
Ex voto à Pushkar, Rajasthan.
Quoique?
(Pierre et Gilles)
Un vishnu gay très tendancieux... Je me demande ce
qu'en penseraient les fidèles?
Mais il faudrait leur dire : c'est de l'art, les gars.
N'en prenez pas ombrage. De toute façon l'homoérotisme
est aussi bien présent en Inde, bien que ça soit un des
grands tabous de cette société.
Et ce n'est pas les meilleurs amis du monde, je suis
sûre hétéros, que j'ai vus sur la plage d'une île au large
de Kochi qui me contrediront ... A l'âge de la modernité,
l'Inde des mariages forcés et arrangés aime à cultiver
son ambiguité malgré le machisme ambiant...
Couple d'amis, île au large de Kochi, Kerala (Sud Ouest de l'Inde)
V. L'œuvre :
Alors là, euhh...
... il s'agit des reliefs d'une "performance" qui a eu
lieu trois soirs de suite, apparemment. J'ai beau chercher,
je ne vois pas le rapport avec l'Inde? Peut-être que l'artiste
était Indien(ne)? Ou peut-être que, l'expo s'intitulant Paris-
Delhi-Bombay, il s'agit de la partie "Paris"? Dans ce cas les
gars, je préfère retourner à Delhi...
VI. L'œuvre :
Un mec qui doit consommer ce qu'il sculpte : des
champignons. Il s'agit de la partie à mon sens la plus...
mmh disons "conceptuelle" de l'expo, et encore, j'ai
décidé de vous passer la partie, hem, explicite de l'œuvre,
vous n'aurez qu'à aller la voir, bande d'obsédés, y a des
enfants pas couchés. (Je dois quand même ajouter que
j'apprécie toute forme d'art dans ce ... style, et que j'ai
biiien - biiiien regardé l'œuvre, en gros plan. Mais je m'
égare. Hum.) Bref.
L'artiste s'est représenté en de multiples avatars postés
dans tous les sens :
Mais si ça c'est de l'art, Indien qui plus est, et ben je
crois que je préfère encore voir ça, comme art Indien,
Plutôt que de voir Sigmund sortant d'une moule (sic)...
Chacun ses goûts.
Le "vrai" art indien (bon level) :
Détail du Sun Temple de Konark, près de Puri, Orissa, Centre-Nord Est de l'Inde
Cela dit, l'artiste me fait quand même penser à ça :
Dieu hindou, à l'entrée du temple de Maduraï, Tamil Nadu (Sud de l'Inde)
Donc je lui pardonne ...
VI. L'œuvre :
Ah ! Une œuvre que j'ai beaucoup aimée, dans une salle
obscure, des tableaux vidéos fabriqués avec des leds qui
envoient au moins 50 000 images à la seconde dans la
rétine... Vous n'en voyez que 4, capturées au hasard...
Véritable expérience psychédélique, l'évocation de l'Inde
est pour moi réussie, parce qu'elle est digne des "trips" des
derniers hippies qui zonent encore à Goa, mais aussi parce
que l'extrême raffinement des motifs fait penser aux reliefs
picturaux et architecturaux extrêmement compliqués,
hérités de savoir-faire ancestraux (sculpture, peinture)
qu'on voit en Inde.
L'original :
Intérieur du City Palace, Udaïpur, Rajastha.
VII. L'œuvre :
Ah ! Un pont qui reprend l'art du djali, c'est-à-dire une ouver-
ture en pierre avec des motifs ajourés, qu'on trouve tradition-
nellement dans les palais du Rajasthan, sortes de "fenêtres
en dentelle de pierre".
Alors là, réussite totale. Rien à dire.
L'original :
Détail d'une fenêtre du city palace, Udaïpur.
VIII. L'œuvre :
Ça et ça, désolée messieurs les conservateurs,
je ne vois pas ...
Par contre, je comprends qu'en tant que "Beau-
bouriens" ça vous plaise... C'est tout à fait ce que
vous nous donnez à voir d'habitude...
IX. L'œuvre :
Des tableaux, inspirés des sculptures érotiques qu'on
peut voir dans les temples de Khajuraho, dans le Madhya
Pradesh, ou sur le Sun Temple de Konark, près de Puri,
et probablement d'innombrables autres sites.
Assez Kitsch, pastel, coloré, improbable, sensuel, érotique :
un parfait résumé du pays, en somme. Pays où la sexualité
est élevée au rang de discipline sacrée.
L'original :
Reliefs du Sun Temple de Konark
Et là je suis contente, j'ai réussi à replacer mes photos
cochonnes.
X. L'œuvre :
Autre appel aux sens : MANGER.
Une oeuvre tout à fait pareille aux "shops" de rue
qu'on voit là-bas : il s'agit des accessoires de cuisine
utilisés pour préparer, transporter ou servir la nourriture.
Rien qu'en les voyant, j'ai eu l'eau à la bouche... en me
remémorant les délicieux thalis mangés tout au long de
mon voyage, car j'ai survécu à l'ingestion des épices les
plus fortes et corsées au monde ... Surtout dans le sud
du pays, dans un premier temps, ingurgitez lentement
et par petites bouchées, si vous ne voulez pas vous brûler
la langue, le palais, la gorge et l'estomac et finir aux urgences.
(ça serait bête).
L'original :
Thali, mangé à Mont Abu, Rajasthan
Femmes préparant à manger, photo prise dans un village près de Jodhpur, Rajasthan
XI. L'œuvre :
Aaaaaaah Bollywood... Il fallait au moins ça.
Un petit tableau sobre, qui exprime les sentiments
amoureux de manière très ... naturelle, (ben quoi?)
Et l'idole absolue de ces dames : Shahrukh Khan.
Quoi???? Me dites pas que vous le connaissez pas?
La moitié de la planète idolâtre cet homme, véritable
légende du cinéma. Blindé de thunes. Vit à Bombay,
capitale du cinéma et de Bollywood.
Personnellement, en matière d'acteurs Bollywoodiens,
j'ai préféré les silhouettes en carton grandeur nature que
j'ai vues à Chennai, autrement dit Madras, à côté desquelles
vous pouvez vous prendre en photo (avec votre téléphone
portable, bien sûr) pour le montrer à votre famille. ça, c'est
du Kitsch, madame. Pas du toc. ça, c'est l'Inde véritable.
L'original :
Silhouettes en carton "Bollywood", photo prise sur une plage de Chennai, Tamil Nadu. (Sud ouest de l'Inde)
XII. L'œuvre :
Une pièce avec une fenêtre vidéo, projetant l'activité
d'une rue en Inde. Assez fascinant, voire hypnotisant.
Vraiment réaliste, j'ai beaucoup aimé.
L'original :
XIII. L'œuvre :
Une évocation subtile et stylisée des anciennes miniatures
mogholes qu'on peut voir au city palace de Jaipur.
L'original :
Moi par exemple, j'avais vu ça, peint sur les latrines municipales :
Jaipur, Rajasthan
ça change des toilettes JCDecaux de Paris, eeeh voui.
Quand je vous dis que l'Inde, c'est le pays des artistes !
XIV. L'œuvre :
Des affiches militant pour l'arrêt des mariages arrangés,
qui font le désespoir des jeunes filles et des jeunes gens
en Inde. Assez parlant, parfois les filles peuvent être mariées
dès l'âge de 12 ans.
L'original :
Pas facile d'être une femme en Inde ...
Femmes en sari photographiées dans le City Palace de Jaïpur, Rajasthan.
XV. L'œuvre : (détail)
Celle-ci m'a fait penser à ça :
L'original :
Le mahatma Gandhi et sa femme, Kasturba, photographie exposée au musée Gandhi de Bombay.
XVI. L'œuvre :
Le clou : cette très grosse tête à l'entrée de l'exposition,
sorte de parfaite synthèse entre Durga Puja et les grands
buddhas dorés du nord ...
Assez réussi et scotchant, je dois dire, mais trop gros pour
mon salon, dommage....
L'original :
Buddha d'une Gompa de Darjeeling, Bengale occidental (extrème nord de l'Inde).
Oct 2007
+
Visage de Durga Puja. Photo source : internet
=
Si, si, ça le fait.
Voilà les gars, moi ce que j'en dis ... après c'est à vous de
voir, si vous préférez vous contenter des restaurants indiens
du passage Brady à Paris, ou si vous tentez la grande aven-
ture ... Bon c'est vrai qu'en attendant vous pouvez aller voir
cette expo, mais après vous vous plaindrez pas qu'on vous
cache tout, on vous dit rien !
Sur ce, Namasté les zamis ! Mon tchaï m'attend !
La bise :)
So6